Relations avec le Maroc, nouveau pouvoir, intégration africaine…Alain-Claude Bilie By Nze se livre
Dans cette interview, l’ancien Premier ministre du Gabon (du 9 janvier au 30 août 2023) revient sur les obstacles à la croissance économique en Afrique centrale, le rôle clé des infrastructures et de l’industrialisation, ainsi que les opportunités de collaboration avec des partenaires stratégiques comme le Maroc.
LIBREVILLE(Plusinfos/Challenge)-Dans une interview accordée en exclusivité au journal Challenge, Alain-Claude Bilie-By-Nze exprime une analyse franche des lacunes structurelles qui affectent la région, en mettant en lumière des problématiques telles que la connectivité insuffisante et le manque de diversification dans le secteur industriel.
Néanmoins, Alain-Claude Bilie-By-Nze ne se contente pas de dresser un constat alarmant ; il avance également des propositions concrètes pour dynamiser l’économie régionale. Parmi ces solutions, il évoque la nécessité d’améliorer les infrastructures de transport et de communication, afin de favoriser les échanges commerciaux et d’attirer de nouveaux investissements. De plus, il insiste sur l’importance de diversifier les activités économiques pour réduire la dépendance à un nombre restreint de secteurs, ce qui pourrait renforcer la résilience de l’économie face aux crises.
En somme, cet entretien met en exergue non seulement les défis auxquels la région fait face, mais également les pistes de réflexion et d’action que propose Alain-Claude Bilie-By-Nze. Son approche pragmatique et constructive pourrait servir de base à une réflexion collective sur les moyens de revitaliser l’économie régionale, en mobilisant les acteurs publics et privés autour d’objectifs communs. Cette dynamique pourrait ainsi ouvrir la voie à un avenir plus prospère pour la région.
En outre, Alain-Claude Bilie-By-Nze met en lumière les liens historiques qui unissent le Gabon et le Maroc, des relations qui acquièrent une dimension stratégique de plus en plus significative. L’ancien Premier ministre insiste sur l’importance d’une collaboration approfondie dans divers domaines, notamment l’agriculture, la pêche et le développement des infrastructures. Il appelle à une mobilisation des ressources et à une volonté politique partagée pour maximiser les avantages de cette alliance. En s’engageant dans des projets conjoints, les deux pays pourraient également renforcer leur position sur la scène internationale, tout en contribuant à la stabilité et à la prospérité de la région.
Challenge : Quelle est votre évaluation actuelle de la situation économique de la CEMAC ? Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever pour stimuler la croissance économique dans cette région ?
Alain-Claude Bilie-By-Nze : La CEMAC constitue un espace monétaire, de même qu’une zone de libre-échange, qui aurait pu permettre à ses six États membres de connaître des échanges économiques et commerciaux intenses, bénéfiques aux acteurs économiques et aux populations.
Hélas, malgré les bonnes intentions, traduites par des normes communes entre autres, la CEMAC peine à remplir toutes ses missions et à atteindre les objectifs de développement attendus. À l’heure actuelle, la croissance dans la zone, qui se situe aux alentours de 2 %, en légère baisse par rapport à 2023, reste très fragile et largement en deçà des chiffres affichés par son homologue de l’UEMOA, par exemple.
Cette faiblesse des performances économiques de la CEMAC peut s’expliquer par plusieurs facteurs, dont deux me paraissent essentiels.
Premièrement, une très faible intégration, avec un niveau d’échanges intra-communautaire très bas. Ceci s’explique principalement par le mauvais état des infrastructures routières, portuaires, ferroviaires et aéroportuaires. Il existe en effet très peu de voies de communication de bonne qualité permettant des échanges fluides entre les différents pays de cet espace économique et monétaire.
Le deuxième facteur qui freine les performances économiques de la CEMAC demeure sa sous-industrialisation et le manque de diversification de son économie. Basées sur l’exportation des matières premières brutes, les économies de la CEMAC ne permettent que très peu d’échanges, car aucun de ses États membres n’est demandeur des matières premières produites par les autres, faute de disposer d’une industrie de transformation et d’un marché adéquat.
La diversification économique est un enjeu clé pour les pays de la CEMAC. Quelles politiques ou initiatives concrètes recommanderiez-vous pour réduire la dépendance aux ressources naturelles, notamment au pétrole ?
Il faut, en premier lieu et dans l’urgence, améliorer les infrastructures pour renforcer la connectivité et favoriser une réelle circulation des marchandises.
Ensuite, il est nécessaire de mettre effectivement en œuvre les plans existants pour encourager une plus grande diversification, notamment la transformation locale des matières premières, en premier lieu le bois et les produits agricoles.
Enfin, il faut intensifier la production agricole pour réduire la dépendance aux importations.
Comment percevez-vous l’avenir de l’intégration économique africaine ? Pensez-vous que les blocs régionaux, comme la CEMAC, sont des tremplins efficaces pour réaliser les objectifs de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) ?
Au-delà de la CEMAC, il faut remonter la question de l’intégration aux communautés économiques régionales, en l’occurrence ici la CEEAC, et y relever les mêmes défis infrastructurels et de connectivité. Avec ses 11 États membres, c’est un marché de près de 200 millions de consommateurs que représente la CEEAC.
Le Gabon et le Maroc entretiennent une relation historique et stratégique. Comment voyez-vous l’évolution de cette relation dans les domaines économique, éducatif et culturel ?
Les relations se sont renforcées ces dernières années, principalement grâce aux investissements marocains dans les secteurs de la banque, des télécoms et des mines.
Il serait souhaitable de renforcer cette coopération dans d’autres domaines tels que l’agriculture et la pêche, compte tenu du potentiel d’expertise et de savoir-faire dont dispose le Royaume du Maroc.
Cependant, on compte très peu d’investissements gabonais au Maroc, sinon pas du tout. Il y a là un champ à explorer pour nos entreprises.
Sur le plan culturel, de nombreux étudiants gabonais sont accueillis au Maroc pour leurs études, ce dont je me réjouis. Ils rentrent dans notre pays dotés d’une solide culture universitaire et d’une connaissance des valeurs marocaines. Il serait souhaitable de renforcer encore ce flux d’échanges : médecine et santé militaire, commerce international, stagiaires des douanes, les exemples sont nombreux.
En tant qu’ancien Premier ministre, quel rôle pensez-vous que le Gabon doit jouer dans le renforcement de la coopération régionale au sein de la CEMAC et au-delà ?
Les présidents Omar Bongo et Ali Bongo ont soutenu un leadership gabonais, notamment avec l’accueil du siège de la CEEAC à Libreville et des initiatives visant à renforcer l’intégration sous-régionale.
Ma vision est que le Gabon doit reprendre ce leadership sur cette question essentielle de l’intégration communautaire. La projection du marché ouvert aux acteurs économiques gabonais va bien évidemment au-delà de nos 2 millions d’habitants et se situe dans la perspective des 200 millions de consommateurs de la CEEAC.
Ce leadership, c’est également contribuer à promouvoir des efforts de paix et de sécurité, sans lesquels aucun développement économique et social harmonieux n’est possible.
Quelle est votre vision à long terme pour une Afrique économiquement intégrée et politiquement unie ? Quels leviers politiques et économiques prioritaires faudrait-il activer pour y parvenir ?
Il faut de la stabilité politique, de la sécurité, un développement des infrastructures et une dynamisation du marché intérieur pour favoriser un commerce intra-africain capable de porter une croissance endogène et inclusive.